Route de Valbrillant, 13590 Meyreuil
Natalia M. King
Natalia Maria King est née à la fin des années 60 à Brooklyn, quartier new yorkais qui n’appartient pas à la géographie du blues. Elle a grandi au sein d’une famille mono parentale. D’origine dominicaine, sa mère l’a élevé avec son frère au prix de nombreux sacrifices. Après des études de sociologie et d’histoire, elle lâche les amarres pour traverser les Etats Unis façon beatnick, en stop, en bus Greyhounds avec pour seul viatique un carnet de notes et un courage à toutes épreuves. Laver la vaisselle, livrer des pizzas ou faire des vidanges de moteurs dans un garage, Natalia a exercé divers métiers. Jusqu’à s’embarquer à bord d’un chalutier où elle vide et écaille du poisson péché au large de l’Alaska. De ces expériences elle va puiser force et endurance, enrichir son point de vue sur la nature humaine pour aujourd’hui en nourrir son art.
Pourtant rien, de son enfance, de sa vie vagabonde ou de son exil à Paris, où encouragée par les écrits de James Baldwin elle débarque en 1998 une guitare Ovation pour seul bagage, ne la destinait à chanter le blues. « Ca ne m’a pas transmis le blues mais ça m’a rendu curieuse. Curiosité qui à un moment m’a conduit jusqu’à Skip James, John Lee Hooker et Robert Johnson » Le déclic se produit dans un cinéma de Nîmes où l’on projette le film de Wim Wenders Soul of A Man. « Ca m’a foutu un sacré coup de pied au cul. Je pleurais en découvrant l’existence de Skip James. Ce film a été pour moi une initiation. » Elle qui avait débuté sa carrière avec pour objectif de déconstruire la musique, se retrouve à se reconstruire sur les fondations établies par les figures tutélaires. « Il y a eu la révélation, puis l’acclimatation, le cheminement vers l’appropriation qui passait par le ressentir. Je ne voulais pas faire de l’imitation. Je voulais vivre cette musique dans mon corps. Au fond, ce n’est pas à toi de saisir le blues, c’est au blues qu’il appartient de te saisir ou pas. » De l’étincelle produite par cette révélation, des ébauches de chansons provoquées par elle, Fabien Squillante, fort d’une expérience tout terrain doublée d’une connaissance approfondie des musiques américaines, va concevoir un habillage approprié, dresser un casting haut de gamme (Ismail Benhabylès au piano, Rémi Vignolo à la batterie, Vincent Peirani à l’accordéon, Raphaël Ducasse à la basse, Yves Jaget au mix…) et sceller un esprit au sein duquel Natalia va s’épanouir totalement. « Nous nous sommes retrouvés sur la même longueur d’onde. Quand les choses se font sans effort, ça signifie que c’est bien. Mes précédents albums en demandaient plus. J’avais dû lutter pour les réaliser. »
Placé sous de si favorables augures, Woman Mind of My Own accompagne les différentes mues d’une âme bien trempée, révèle toutes les variations d’un caractère soutenu par un talent sans pareil. Si ces 9 chansons nous rappellent forcément quelque chose, elles nous instruisent aussi sur un cœur affamé et jamais rassasié. Ballade soul typique de l’ère Stax-Muscle Schoals avec section de cuivres idoine, Forget Yourself rapproche ainsi Natalia du trône où les reines absolues de la maladie d’amour que sont Candi Staton et Etta James dictent leurs lois, rendent leur justice.
Tandis qu’elle semble avoir croisé le fantôme de Robert Johnson au fameux carrefour de Clarksdale sur Woman Mind of My Own, elle envoie sur Play On, dans une veine semblable de deep blues du Delta avec guitare resonator ad hoc, un message digne du grand Shakespeare disant : « si la musique est l’aliment de l’amour, alors jouez là… ».
Et puisque le cœur est un chasseur solitaire, le sien rôde, braconne dans toutes les futaies, de la passion torride de Sunrise to Sunset, où elle tient la dragée haute aux deux miss Jones de la chanson (Rickie Lee et Nora), à la mélancolie lascive d’une Karen Dalton sur So Far Away.
Preuve que Natalia ne fait jamais du « à la manière de », quand elle s’empare du One More Try de George Michael c’est pour offrir l’un des moments les plus poignants et les plus personnels du disque. Idem pour les deux autres reprises, le (Lover) You Don’t Treat Me No Good du groupe Sonia Dada où elle « s’écharpe » avec le bluesman néo-zélandais Grant Haua et le Pink Houses de John Cougar Mellencamp en duo avec Elliott Murphy, autre américain exilé en France. Si Woman Mind of My Own est une célébration de cette americana indissociable de son ADN, c’est aussi un baptême avec en point d’orgue Aka Chosen, gospel LGBT où Natalia s’empare de la couronne de l’élue « qui doit contribuer à ouvrir l’esprit de ceux qui pensent que la couleur de peau ou l’orientation sexuelle reste un critère, une valeur … Dire que je suis une élue c’est prendre le contre pied de ceux qui prétendent au contraire que je suis maudite et damnée parce que homosexuelle. ”
The soul of a woman.